Le contrat de joueur pro entre en piste
Trois clubs e-sports viennent officiellement de naître. Depuis le 5 janvier, l’Olympique Lyonnais, LDLC Event et GamersOrigin peuvent employer des joueurs au moyen du contrat de travail spécifique à l’e-sport créé par la loi République Numérique. S’il présente des inconvénients, ce contrat de travail permet avant tout de sécuriser et de légitimer la profession.
Encore un pas de plus vers la professionnalisation du secteur. Après la promulgation de la loi République Numérique, le 7 octobre 2016, dont les articles 101 et 102 reconnaissent et encadrent l’e-sport, et la publication des décrets d’application au Journal Officiel pendant l’été, trois clubs ont obtenu, le 5 janvier, l’agrément ministériel les autorisant à recourir au contrat de travail spécifique à l’e-sport. Ce contrat, à durée déterminée, et d’une durée minimale d’un an, permet de lier légalement une structure et ses joueurs en définissant clairement les salaires, temps de travail et autres conditions d’exercice de la profession de joueur professionnel. Dans le milieu, l’obtention de cet agrément fait en premier lieu office de reconnaissance symbolique : « le plus important, c’est qu’on donne une crédibilité au milieu au niveau des marques non endémiques. Cela permet de rassurer les investisseurs et de les pousser à sauter le pas » confie Guillaume Merlini, fondateur et directeur de GamersOrigin, l'une des premières sociétés à avoir obtenu l'agrément avec LDLC et l'Olympique lyonnais. Une reconnaissance qui vaut aussi bien pour les joueurs que pour leurs parents, qui voient le contrat de travail comme synonyme de stabilité et de professionnalisme selon lui. Chez LDLC, l’obtention de l’agrément tient pour récompense des efforts consentis à la professionnalisation de leurs activités : « l’agrément n’est pas un frein pour le développement mais vraiment une porte d’ouverture qui vient sécuriser la vision des sponsors, car cela montre qu’on a fait la démarche d’aller vers le format légal et que l’on n'a pas de fragilité » explique Stéphan Euthine, directeur de LDLC Event et président de France eSports, la fédération française du sport électronique.
Des inconvénients...
Toutefois, l’obligation de recourir au contrat de travail et de se plier à ses règles pourrait aussi pénaliser les équipes françaises : « aujourd’hui, cet agrément augmente sensiblement les charge salariales à payer pour les joueurs, nous ne sommes pas contre, mais si cette nouvelle loi n’est pas uniformisée au niveau européen, nous allons être incapables de nous aligner sur les salaires nets des autres pays et il pourrait y avoir une fuite des talents, voire une fuite des structures » déplore le fondateur de GamersOrigin. Stéphan Euthine partage ce point de vue, mais le tempère : « quand tous les pays européens auront cette obligation de contrat, la question de la compétitivité ne se posera même plus, nous serons tous au même niveau, et nous ne serons pas désavantagés par une structure étrangère ».
Et surtout des avantages
Pour le directeur de LDLC Event, bien que des concessions doivent être faites sur la compétitivité, le recours au contrat de travail ouvre d’innombrables opportunités de développement. Plus stable et sécurisant, il permettra aux grandes équipes comme aux plus petites de se lancer sur de nouveaux jeux en incitant certains joueurs à basculer vers le statut de professionnel. Auparavant, pour recruter un joueur, toutes les équipes ou presque lui proposaient de se déclarer en tant qu’auto-entrepreneur, avec toutes les responsabilités que cela implique en matière de comptabilité et de démarches. Désormais, le joueur peut prétendre à un contrat digne de ce nom. Un contrat qui permet également de régulariser la situation des mineurs, notamment ceux de 16 à 18 ans. Ces derniers peuvent à présent prétendre à ce contrat alors qu’il leur était – et est toujours – impossible de se déclarer auto-entrepreneur. Une évolution qui permettrait à la France de couver de nombreux jeunes talents – y compris venus de l’étranger. Dorénavant, « avec un véritable contrat de travail justifiable en ambassade de France, il sera beaucoup plus simple de faire venir des joueurs étrangers » souligne Guillaume Merlini. Mais cela ne va pas sans contraintes. Car pour faire venir un joueur étranger, encore faut-il qu’il puisse justifier d’un lieu de résidence, en France, et d’un lieu d’activité. Stéphan Euthine concède qu’il va falloir encore « réfléchir à de nouvelles infrastructures » pour pouvoir supporter, à la manière de clubs sportifs traditionnels, l’hébergement et l’encadrement de joueurs étrangers.
Le statut des joueurs de moins de 16 ans, comme Clem, reste néanmoins incertain. La loi ne prévoit pas leur encadrement.
S’il est tout à fait utilisable en l’état, certains chantiers demeurent avant que le contrat de travail ne soit réellement applicable. Les questions des horaires de travail et du versement des gains restent notamment en suspens. « Actuellement, ce n’est pas le joueur qui encaisse le cashprize mais le club. Cela passe par toute la chaîne de facturation du club, avec toutes les taxes, avant d’être reversé comme prime exceptionnelle au joueur » explique le directeur de LDLC Event. Seulement voilà, les éditeurs, comme les organisateurs de tournois, continuent de plébisciter le versement direct au joueur. Or, dans le sport traditionnel, sur lequel le contrat e-sport a été calqué, le versement passe toujours par les clubs. Sur cette question, la loi du 7 octobre n’a donc pas donné de réponse satisfaisante aux clubs e-sports.
Le contrat de travail e-sport n’en est encore qu’à ses balbutiements, et bien des aménagements doivent et seront encore opérés. Des discussions doivent d’ailleurs très prochainement être engagées entre France eSports et le Ministère du Travail pour combler les dernières failles. En attendant, la volonté du président de l'association e-sportive est d’en faire une base commune de travail, un contrat type qui pourrait être communiqué aux clubs pour commencer à uniformiser et professionnaliser le secteur. Un second contrat type devrait également être conçu à l’attention des clubs semi-pros et associatifs qui n’auraient pas intérêt à réclamer l’agrément ministériel mais plutôt à se cantonner au statut d’auto-entrepreneur.
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