Loi numérique : les décrets sont sortis
Plus de six mois après la promulgation de la loi sur le numérique, qui comprend des éléments de reconnaissance des compétitions de jeux vidéo, deux décrets majeurs viennent d’être publiés au Journal officiel. L’un encadre l’organisation de tournois, le second précise les conditions d'embauche des joueurs professionnels. Alléluia !
Preuve que le gouvernement sait – parfois – évoluer avec la société, la loi pour une République Numérique, portée par la secrétaire d’état au numérique Axelle Lemaire, a été le fruit d’une consultation publique inédite.
Pendant quatre mois, les internautes ont été appelés à apporter leurs suggestions d’amendements, voire de proposer de nouveaux articles. Ce fut le cas de l’article relatif aux jeux vidéo, suggéré par le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs et soutenu par plus de 4000 internautes, qui a abouti aux articles 101 et 102 de la loi numérique.
Peu après la finalisation de la procédure de consultation en ligne, le Premier ministre a chargé deux parlementaires, le sénateur Jérôme Durain et le député Rudy Salles – que vous avez pu voir sur le plateau d’O’GamingTV – de consulter les acteurs du secteur afin d’écrire un rapport d’étape sur la reconnaissance des compétitions de jeux vidéo. Remis officiellement à Axelle Lemaire dans l’enceinte même du temple du jeu vidéo parisien, le Meltdown, ce rapport préconisait notamment de préciser le statut des compétitions de jeux vidéo afin de les distinguer des jeux d’argent et de favoriser leur développement, mais aussi de formuler et de sécuriser le statut des joueurs professionnels (incluant les mineurs), d’accompagner l’essor du secteur à l’aide de fonds publics, d’inviter le CSA à lâcher du lest en matière de publicité dissimulée (un jeu vidéo est bien un produit commercial et non un sport) et de violence, et de rabaisser le taux de TVA des tickets de spectateurs à 5,5%.
Axelle Lemaire, de passage chez O'Gaming lors des Nation Wars IV.
La loi finale, reprenant en partie ces recommandations, a été promulguée le 7 octobre 2016.
Les deux décrets d’application relatifs aux compétitions de jeux vidéo viennent d’être publiés au Journal officiel, le 9 mai dernier.
Le premier décret prend immédiatement effet. Il concerne l'organisation des compétitions de jeux vidéo, comme la DreamHack ou les IEM.
Le texte d’application précise les règles auxquelles doivent se soumettre les organisateurs pour que leur événement ait non seulement lieu, et qu’il rentre dans la catégorie « compétition de jeux vidéo ».
Ainsi, tout organisateur de tournoi doit déclarer la tenue de l'événement au service du ministère de l’intérieur chargé des courses et jeux, au minimum trente jours avant, et au maximum un an avant. Un dossier comprenant toutes les informations essentielles (société organisatrice, jeux pratiqués, lieu et dates de l’évènement…) doit également être remis. Qui dit encadrement juridique, dit nécessité de professionnalisation du secteur. Aussi, dans ce dossier, le ou les organisateurs doivent impérativement se montrer irréprochables quant aux moyens avancés en matière d’organisation, de financement, et de sécurisation de leurs évènements. Par exemple, au-delà de 10 000 euros de gains, dans les tournois pour lesquels les joueurs doivent participer aux frais, les organisateurs doivent fournir la preuve d’une garantie de paiement. Ces modalités, précises et contraignantes, obligeront les organisateurs à se lancer dans l’aventure avec sérieux. Certains tournois, qui pouvaient parfois s’appuyer sur le flou juridique pour voir le jour et subsister, devront désormais soit se plier aux nouvelles règles, soit disparaître, s’ils ne veulent pas s’exposer à des sanctions.
D’ailleurs, un alinéa concerne directement les frais d’inscriptions et « autres sacrifices financiers consentis par les joueurs pour participer à la compétition ». Ceux-ci ne doivent désormais plus excéder le montant total d’organisation de l’évènement, gains et lots inclus. Cela veut dire que des organisateurs peu scrupuleux qui auraient pris l’habitude de se remplir les poches avec celles des joueurs ne pourront plus le faire.
Enfin, si le décret supprime le flou qui planait sur la situation des mineurs, en les autorisant à participer à un tournoi à condition de disposer d’une autorisation écrite et en bonne et due forme de leur représentant légal, il dispose que la participation en tant que joueur d’enfants de moins de douze ans, dans le cas de tournois avec gains monétaires, est interdite. Cela n'empêche toutefois par certains organisateurs de poser leurs propres règles en la matière, comme Blizzard l'a fait pour la qualification de Clem aux WCS, car il était âgé de moins de 16 ans.
Ces décrets faciliteront sans doute l'éclosion
de graines de champions comme Clem sur la scène française.
Le second décret précise quant à lui le statut des joueurs professionnels « salariés de jeux vidéo compétitifs » et surtout les conditions d’obtention de l’agrément ministériel pour avoir le droit d’embaucher un joueur pro. Il entre en vigueur le 1er juillet.
Un autre problématique pour ce second texte d'application. Pour que l’employeur puisse signer des contrats de joueur professionnels, il doit faire la demande d’une autorisation de trois ans renouvelables auprès du ministère chargé du numérique et montrer patte blanche. L’entreprise ou association doit donc – assez logiquement – participer aux compétitions de jeux vidéo, mais aussi mettre en place un suivi physique, psychologique et professionnel de ses joueurs. Car attention, l’employeur doit décrire « les moyens mis en œuvre pour prévenir les risques professionnels liés à l'exercice du métier de joueur professionnel de jeux vidéo compétitif », de même que « les conditions d'emploi des joueurs professionnels salariés, en particulier leurs conditions d'entraînement, de formation et d'encadrement physique et mental ».
Pour rappel :
« Le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire. »
Titre I de l'article 102 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique
Afin de flexibiliser les contrats – préparez-vous, Macron prend bientôt ses fonctions –, le décret autorise également l’employeur à signer des contrats à durée déterminée de moins de douze mois, uniquement si la société prévoit de créer une équipe « pour concourir sur un jeu nouvellement lancé », si elle prévoit de créer une équipe sur un jeu pour lequel elle ne possédait pas d'équipe, ou bien, s’il s’agit d’un poste nouvellement créé au sein d’une équipe existante. Tout cela pour dire que les contrats de courte durée sont autorisés dans les cas où l’employeur se lance dans une nouvelle activité.
This is it. L'eSport est bel et bien reconnu par l'Etat français, dans la loi comme dans la pratique. Reconnu, le secteur doit à présent répondre à un cahier des charges bien précis afin de poursuivre son essor dans le respect des règles en vigueur. Reste à voir comment la jeune association France eSports saura défendre l'industrie auprès des pouvoirs publics à l'avenir.
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