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20 juil. 2017 - Scribble Divers

France eSports : fédérer pour mieux avancer

France eSports : fédérer pour mieux avancer

Stéphan Euthine, le nouveau Président de France eSports, revient sur le fonctionnement, la mission et les revendications de l'association créée en avril 2016 pour soutenir le développement de l'e-sport en France.

Stéphan Euthine a été nommé Président de France eSports pour deux ans. Il est également directeur de la filiale Event de LDLC. Interview.
 

Comment définissez-vous le rôle de France eSports ?

Son rôle est de faciliter le développement de l’e-sport en France en étant notamment force de proposition sur l’encadrement proposé par le gouvernement.

Pour ce faire, nous commençons déjà par rentrer des adhérents de tous bords. L’idée est d’échanger avec l’ensemble des adhérents pour leur proposer le développement qu’ils désirent. On ne cherche pas à imposer un format e-sportif en France mais à savoir ce vers quoi on doit tendre pour que les joueurs et les spectateurs s’éclatent d’un côté, que les éditeurs de jeux puissent vivre de leur business de l’autre, et qu’au milieu, des promoteurs puissent créer de l’activité.


Comment accueillez-vous ce nouveau poste et en quoi consiste exactement votre mission ?

Avec le départ de Mathieu Dallon (fondateur d'Oxent, société organisatrice de l'ESWC), nous nous sommes retrouvés avec une place vacante. En tant que secrétaire général de l’association, j’ai bien pris la mesure de la quantité de travail qu’il y avait et je me suis proposé pour continuer de m’impliquer dans le projet car je continue à y croire et à vouloir le porter.

Le Président est avant tout le représentant de l’association. Je dois représenter l’ensemble des adhérents sur tout ce qui est communication externe.

L’association, elle, a pour but de débattre sur divers sujets qui touchent l’e-sport avec les visions des trois collèges qui cohabitent en son sein : joueurs, éditeurs et promoteurs. On réunit ces trois regards pour arriver à des consensus en interne pour ensuite porter ces sujets en externe et en débattre avec les acteurs institutionnels, le gouvernement ou les villes. L’idée est aussi faire connaître notre activité à l'extérieur de notre communauté.



À gauche, notre fidèle Pomf, feingnant l'overbooking d'un homme d'affaires.

 

Comment est né ce système de collégialité ?

France eSports a démarré en petit comité, sans faire rentrer trop de monde pour éviter de réunir une trop grande variété de points de vues. Au départ on a voulu simplifier le fonctionnement en prenant une dizaine de personnes emblématiques de tous bords et même parfois concurrentes sur le marché, afin de réfléchir à la création de statuts pour une association qui ressemblerait au maximum à une fédération sans pouvoir en être une. Car tant qu’un éditeur de jeu possédera le produit, on ne pourra pas prétendre être une fédération en France. En revanche, dans tous les autres pays, France eSports est considérée comme une fédération.

Pendant un an, nous avons réfléchi à la création des différents collèges afin de trouver un équilibre des forces. C’est difficile de mettre autour de la table de simples joueurs et spectateurs face à des éditeurs de jeux pour parler de sujets qui pourraient changer l’ordre des choses établi. Il nous fallait trouver un moyen de protéger l’éditeur et son jeu et de permettre au joueur de se sentir écouté. Le format des collèges est vite apparu comme l’unique solution pour faire le lien entre les différents acteurs et pour équilibrer les forces et les points de vues. Nous avons souhaité établir une stricte égalité sur le poids des collèges lors des décisions au conseil.



 


Comment ces collèges travaillent-ils tout au long de l’année ?

Nous fonctionnons par groupes de travail. Quand un sujet sort du lot, comme la communication extérieure ou le contrat de travail du joueur professionnel, nous voyons quels sont les représentants qui pourraient être intéressés pour en parler. Nous réunissons des acteurs spécifiques comme les clubs ou les joueurs professionnels, qui sont directement impactés par cette problématique. Le groupe va échanger en interne pour se mettre d’accord puis en externe avec la direction générale des entreprises afin d’être force de proposition s’il y a des choses à modifier ou à ajouter par rapport à la loi.


Comment sont prises les décisions ?

Les décisions sont prises à la majorité au Conseil d’Administration, avec au moins une voix dans chaque collège. Par exemple si une décision réunit toutes les voix de deux collèges, mais que le troisième vote à l'unanimité contre, il y a aura un effet de barrage car cela voudrait dire que la décision empiète sur l’activité d’un des collèges et que cela ne répond plus au bien commun. On considère que si l’un des piliers de l’association n’est pas satisfait, cela ne sera pas bénéfique dans le temps pour le marché. L’idée est de conserver de la souplesse en même temps qu’une solution de protection pour un type d’acteurs en particulier.

 

Quel est l’agenda de l’assemblée générale de septembre ?

Nous travaillons encore sur l’ordre du jour. Mais on pourrait discuter de sujets comme d’éventuelles modifications statutaires, un possible déménagement car nous sommes hébergés par le SELL, ou une embauche de salariés. Tous les membres du CA sont bénévoles, mais si l’association prend de l’ampleur il faudra probablement du monde pour faire tourner les rouages.

 

Quels sont les premiers gros chantiers de l’association ?

Notre premier chantier c’est déjà de pouvoir gérer nos adhérents. Quand on a commencé, on était dix. Lorsque j’ai pris la présidence en juin, nous étions 2600. Pour le moment, on ne sait pas bien à quoi ils servent. Notre première mission va être de créer le lien entre l’adhérent et le Conseil d'Administration, et de définir son implication. On réfléchit à un bulletin d’information mensuel, ainsi qu’à des services à développer, comme une aide juridique.




 

Le deuxième chantier sera le financement de l’association. Nous commençons à chiffrer nos actions et à trouver des moyens de financement, par donations ou sponsoring par exemple. Concrètement, ce sont nos adhérents qui vont décider des actions à mener, et nous, au Conseil d’Administration, nous nous chargeons de les chiffrer.

En ce moment, nous réfléchissons par exemple à la problématique d’accueil des spectateurs handicapés sur les événements e-sportifs.

 

Quel est le profil-type de vos adhérents ?

Nous avons essentiellement des joueurs. Le collège des joueurs sera le plus fourni en termes d'individus, car tout le monde peut l’intégrer. Il rassemble des personnes physiques tandis que les deux autres réunissent des personnes morales, des sociétés ou des associations, et dont les avis sont déjà fédérés.

Sur les 2600 adhérents, il y a 2500 joueurs, une cinquantaine de promoteurs et cinq éditeurs de jeux. Pour le moment les éditeurs sont surtout rassemblés en syndicats, comme le SELL ou le SNJV (Syndicat National des Jeux Vidéo). Mais certains, comme Bethesda, qui est au SELL, ont décidé de nous rejoindre en nom propre. Pareil pour Virtual Regatta, qui est à la fois adhérent du SNJV et adhérent en nom propre. La question de savoir si c’est le SELL ou ses administrés qui doivent nous rejoindre, c’est à eux d’y répondre.

 

Quelles sont les premières revendications de France eSports ?

Le contrat de travail est apparu en premier pour des raisons de calendrier. Tous les acteurs ne sont pas d’accord sur le format proposé. Il existe de nombreuses contraintes particulières qui ne sont pas adaptées à la réalité de notre activité.

Par exemple, nous avons bien fait évoluer l’article 101 de la République Numérique qui encadre les événements e-sportifs. Cet article oblige les organisateurs à déclarer leur fonctionnement au ministère. Notre rôle est de nous demander si les conditions sont suffisamment souples pour créer des événements et surtout si toutes les couches d’organisateurs le peuvent, car on ne peut pas imposer les mêmes contraintes à un simple mini-tournoi de Bureau des Etudiants qu’à l’ESL.

Pour le moment, nous avons réussi, sur les événements physiques – puisque les événements en ligne ne sont pas encore régulés –, à assouplir les contraintes. Initialement, les paliers et contraintes d’organisation étaient basés sur les propositions du rapport de Jérôme Durain et Rudy Salles, sauf qu’ils prenaient surtout en compte les grands événements. Nous avons donc fait retravailler les paliers en prouvant que dans l’état, certains formats de tournois se retrouvaient complètement éjectés.

Par contre, nous avons beaucoup moins eu la main sur l’article 102 et les contrats de travail, qui a été renvoyé au ministère du Travail. Aujourd’hui, les contrats de joueurs professionnels ne concernent en réalité qu’une centaine de personnes en France, donc ce n’est pas forcément la priorité du gouvernement. Pour nous, le joueur professionnel, c’est le fleuron de notre activité, mais quand on demande à changer la loi pour cent personnes, c’est pas facile.


Quels genres de problématiques sont posées par le contrat de travail proposé par le gouvernement ?

Tout simplement : quand est ce qu’un joueur joue, quand est-ce qu’il travaille ? Personne ne l’a défini donc c’est très difficile de faire un contrat de 35 heures quand on ne fait pas la distinction entre horaires de travail et de jeu.

En outre, notre activité est très limitée par les contrats standards, car elle se fait en décalage horaire, souvent après 21 heures. D’autres problèmes se posent, comme la fiscalité des cashprize. La grande différence entre sport et e-sport, c’est que c’est le joueur qui touche directement la récompense. L’État voudrait que ce soit le club qui touche le cashprize et non le joueur. Ce format, la France ne peut pas l’appliquer seule quand le reste du monde ne le fait pas.


Sur un tout autre sujet, une dernière question, relative à dissolution de l’équipe Overwatch de LDLC, pourquoi cette décision ?

C’est assez simple, nous arrivions à la date de renouvellement des contrats mais n’avions toujours aucune visibilité, ni pour LDLC, ni pour nos partenaires. Comme d’autres équipes européennes, nous avons choisi de suspendre l’équipe après nos discussions avec Blizzard lorsque nous nous sommes rendus compte qu’elles n’allaient pas dans notre sens. Le choix de Blizzard n’a vraiment pas été de mettre en valeur les clubs e-sportifs mais plutôt un format de franchise pour lequel nous ne sommes pas du tout dimensionnés. 
 

Tout semble avoir été fait dans le fonctionnement de l'association pour que tous les acteurs de la scène e-sportive française soient entendus, joueurs, spectateurs, éditeurs comme promoteurs. Reste à voir le poids que France eSport sera en mesure de peser auprès du gouvernement et de ses institutions, parfois imperméables aux bouleversements sociétaux, d'autant plus lorsqu'il s'agit de s'attaquer au travail. Une chose est sûre, s'il est un quinquennat pour lequel la modification du code de travail est la priorité, c'est bien celui qui se déroule devant nous.

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