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28 nov. 2018 - Flemm' League of Legends

Vers une fin de la meta ?

Il y a un peu moins d'un mois, on assistait au dernier épisode des championnats du monde les plus fous de l'histoire de LoL. La Corée a chuté, la Chine a été couronnée, on a eu du beau jeu, et surtout du jeu varié. Dans cette période un peu creuse qui est souvent idéale pour dresser des bilans de fin d'année, essayons de tirer des enseignements de cet étonnant patchwork de styles de jeu vus pendant les Worlds.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de bien définir la meta. Peut-être qu'une partie d'entre vous ne le sait pas mais ce mot, qu'on utilise maintenant dans tous les sens, est à la base un acronyme signifiant « Most Efficient Tactic Available », que l'on peut littéralement traduire par « tactique la plus efficace disponible ». Ce terme a tendance à se définir lui-même et il est difficile de le développer sans rentrer dans la tautologie, mais si on l'applique à League of Legends, il s'agit de l'ensemble des paramètres (champions, objets, routes de jungle...) permettant d'établir la meilleure stratégie possible pour gagner une partie, et ce indépendamment de tout facteur humain (comme le talent individuel des joueurs ou la cohésion d'une équipe). Il s'agit donc d'un élément universel de LoL, dans le sens où il s'applique à tous, étant donné qu'il trouve son existence uniquement dans le jeu, qui est le même pour toutes les équipes du monde.

Maintenant, souvenez-vous de ce discours prononcé par YamatoCannon, suite à l'élimination de Vitality des championnats du monde : « Pour l'Occident, il y a toujours eu cette poursuite, cet objectif de rattraper la Corée, de rattraper la Chine, de toujours apprendre d'elles. Mais aujourd'hui j'ai réalisé une chose […] : nous sommes venus avec notre philosophie, notre style, et nous avons montré que nous étions capables de faire bouger les choses. Quand G2 joue son propre style, elle gagne. Quand Fnatic joue son propre style, elle gagne. Restez vous-mêmes, n'essayez pas de copier quiconque, et soyez confiants ». Ces mots sont restés gravés dans les mémoires. La suite, on la connaît ; on a assisté à la meilleure performance occidentale de l'histoire des Worlds, avec trois équipes de l'ouest dans le dernier carré. Mais surtout, chacune d'entre elles y est parvenue avec sa recette maison.

 


YamatoCannon, galvaniseur de troupes depuis 1995.
Crédits : Lolesports

 

Pour certains, il n'en faut pas plus : les équipes devraient se concentrer sur la façon de jouer qui leur convient le mieux, sans se préoccuper des tendances de la meta. C'est par exemple le cas dans le football. Il n'y a pas de manière objectivement plus efficace de jouer au football. Les différents clubs vont identifier leurs forces et leurs faiblesses et trouver le style de jeu optimal en fonction de ces variables. Un club avec une défense solide et des attaquants rapides voudra certainement jouer en contre, tandis qu'une équipe constituée de joueurs très à l'aise balle au pied va privilégier un jeu axé sur la possession de balle et la construction d'attaques placées.

Nos écuries de LoL devraient-elles donc se calquer sur le football et arrêter de suivre la meta pour se concentrer sur leurs points forts ? Remplacer la meta par le facteur humain ? Et donc, cette nouvelle approche du jeu signifierait-elle une fin de la meta, car il n'y aurait plus ce concept universel de tactique la plus efficace possible ? C'est à cette problématique – assez prise de tête mais néanmoins intéressante – que nous allons tenter de répondre.

 

2018, l'année du changement

Nous allons remonter le temps pour nous retrouver au début de cette année 2018. À cette époque, nous sortons des Worlds 2017, une édition avec une meta très fermée – ce qui, par ailleurs, est souvent le cas pendant les championnats du monde – concentrée autour de l'ADC, protégé par tous les autres membres de l'équipe et boosté par le fameux Encensoir ardent, objet incontournable car beaucoup trop efficace à ce moment-là. Nous avions donc des parties très lentes, avec très peu de kills, car les deux équipes attendaient systématiquement le late game pour que leur tireur atteigne son pic de puissance et soit suffisamment équipé pour annihiler la totalité des joueurs adverses. La meta était tellement marquée par l'Encensoir que l'intégralité des équipes a dû se conformer à ce schéma de jeu.

 


Le véritable MVP des Worlds 2017.

 

Bien évidemment, la Corée a encore une fois gagné. Les parties étaient très passives, et les Coréens sont les maîtres du jeu lent, défensif et stratégique. Autant dire qu'ils évoluaient sur le terrain idéal pour développer leur macro, leur vision et punir les erreurs des équipes plus agressives. Du coup, on se dit qu'une fois de plus, c'est la Corée qui a raison, et que le style le jeu le plus optimal pour gagner à League of Legends, c'est ce jeu passif, cette macro aux rouages huilés, dont la LCK maîtrise les arcanes depuis tant d'années.

Cependant, pendant le segment printanier de cette année, Riot décide de supprimer deux objets jouant un rôle capital dans la prise de vision en début de partie, à savoir le Couteau du pisteur des junglers et la Pierre de vision des supports. Ces changements ont eu l'effet d'un véritable tremblement de terre auprès de la communauté compétitive de LoL, dont de nombreux membres estimaient que le temps des débuts de partie passifs était révolu. En effet, sans ces objets, il est normalement beaucoup plus difficile de procurer une vision suffisante à son équipe, et il est donc beaucoup plus dangereux de s'avancer dans la jungle ou sur les lignes, car en l'absence de vision, il est bien plus compliqué de prévoir un gank ou une escarmouche. Mais alors, si ces objets garantissant un début de partie contrôlé n'existent plus, cela veut-il dire que le jeu défensif si cher à la Corée n'est plus possible ? Est-ce qu'on tient là l'explication de la déchéance coréenne ?

 


Les deux premiers suspects de notre enquête : le Couteau du pisteur et la Pierre de vision.

 

Réponse courte : non. Mais développons.

Commençons par évoquer quelques chiffres, comme ceux des saisons régulières d'été 2017 et 2018, en LCK ainsi qu'en EU LCS. La théorie voudrait que la suppression du Couteau du Pisteur et de la Pierre de Vision diminue significativement le nombre de balises posées pendant la partie. Pourtant, en Corée, on est passé d'une moyenne de 3,8 WPM (wards par minute) en 2017 à 3,6 WPM en 2018, alors que l'Europe est passée de 3,6 WPM en 2017 à 3,3 WPM en 2018. On constate donc une baisse, mais celle-ci est loin d'être aussi importante que le suggérerait la théorie. Sur une partie de 30 minutes, cela représente une différence de 7 ou 8 wards, sur environ une centaine. Pas de quoi bouleverser l'équilibre du jeu.

Par ailleurs, on peut parler du cas Kingzone DragonX, qui a chuté en finale du dernier MSI face à RNG au terme d'un tournoi somme toute décevant. Contrairement à ses illustres aînées que sont SKT et Samsung, Kingzone n'a jamais construit son succès sur le jeu froid et méthodique qu'on a l'habitude de voir chez les écuries coréennes, mais plutôt sur la domination de ligne. Peanut était même l'un des rares junglers à consciemment délaisser le Couteau du pisteur pour se porter vers le choix plus agressif du Sabre de l'Escarmoucheur. Pourtant, Kingzone a également échoué. Certes il s'agit probablement plus d'un problème de mental des joueurs, mais toujours est-il que leur échec n'est pas vraiment lié à la disparition de ces objets.

 


Peanut et Kingzone ont profondément déçu les fans coréens durant le MSI.
Crédits : Lolesports

 

En revanche, il y a un autre changement, fait avant le début du Summer split, qui passe souvent sous le radar et qui, pourtant, a eu beaucoup plus d'impact sur le jeu que le retrait de deux objets de vision de l'inventaire : la refonte de la jungle et plus particulièrement du Carapateur. Pour faire simple et sans trop entrer dans le détail (je vous renvoie aux notes du patch 8.10 si vous souhaitez en savoir plus), les camps de la jungle ont été modifiés de sorte que le Carapateur devienne très important pour les junglers de par la grande quantité de points d'expérience qu'il offre. Il est donc primordial d'avoir un jungler fort en début de partie – Xin Zhao, Trundle, Nocturne, Kindred, Camille – pour pouvoir le contester, ainsi qu'un midlaner ayant la priorité sur sa ligne pour pour décaler et venir en soutien de son coéquipier en cas d'escarmouche dans la rivière.

Car oui, c'est aussi ça que les changements dans la jungle provoquent, énormément d'escarmouches. Et c'est là que la Corée pêche ; après des années d'aversion aux risques, elle se retrouve dans une situation où elle est obligée de se battre très tôt dans la partie, ce qui est aux antipodes de sa tradition. De plus, les midlaners coréens n'ont jamais été des monstres absolus de domination de lane, Européens et Chinois étant souvent supérieurs dans le domaine pendant les tournois internationaux. Même si la Corée a toujours montré une excellente capacité d'adaptation, cela reste une tâche très ardue que de devoir complètement repenser et réapprendre la manière de jouer le début de partie après avoir perfectionné un stylé totalement opposé pendant près de cinq ans.

 


La Corée est la région la moins sanglante du monde en début de partie.
Source : Riot Games

 

Donc ça y est, elle est là l'explication de la contre-performance des équipes de la LCK ? Non, toujours pas. Du moins pas entièrement. Vous imaginez bien que le problème est bien plus complexe et qu'il est impossible à déchiffrer de manière concise et en évoquant un seul point, mais ce point reste une pièce du puzzle qu'il était important de soulever, d'autant plus qu'elle aura un poids dans la résolution de notre problématique de départ.

 

Des Worlds 2018 sans meta ?

Nous y voilà enfin. Les Worlds. Que vous les ayez suivis avec une assiduité exemplaire ou pas, cela n'a pas dû vous échapper tant tout le monde s'en est réjoui : nous avons eu droit à un éventail de champions très large, plus qu'à l'accoutumée, mais surtout nous avons eu plein de styles de jeu différents ! Du 1-3-1 comme du teamfight, des compositions agressives comme défensives, des équipes portant leur priorité sur des lanes différentes... On y est, la quintessence de League of Legends, un jeu sans meta, où chacun est libre de développer son propre jeu, celui qui lui semble le plus efficace ! Non ? NON ?

Non, pas vraiment. Attention, cela ne veut pas dire que tout était uniforme, on a bel et bien pu profiter d'une grande variété de stratégies toutes différentes. Mais tournons alors la question dans un autre sens : est-ce que le fait d'avoir cette diversité implique une disparition de la meta ?

Avançons un peu dans la compétition pour se pencher sur les équipes du dernier carré. Là encore on a des styles différents, mais G2, IG, Fnatic et C9 ont toutes le même point commun : leur côté haut de la carte est agressif et dominateur en ligne. Cela ne veut pas dire que c'est toujours sur ce plan de jeu que les équipes se sont portées, mais le top side a toujours été à son avantage chez nos demi-finalistes. Si on se concentre plus particulièrement sur les duos mid-jungle de chacune de ces structures, ceux-ci ont extrêmement bien fonctionné – même si on peut nuancer dans le cas de G2, Jankos ayant proposé des prestations très inégales tout au long de la compétition. Il est là, l'héritage du patch 8.10 : les junglers agressifs ayant refait surface, gagner le deux contre deux mid-jungle est devenu l'une des principales conditions de victoire du jeu, d'autant plus que ces affrontements sont extrêmement volatiles car les champions utilisés sont des carrys ; l'effet boule de neige est alors exacerbé.

 


Rookie, Ning et TheShy, le trio gagnant d'Invictus Gaming pendant la finale.
Crédits : Lolesports

 

À l'inverse, regardons maintenant du coté des équipes qui ont déçu : Gen.G, RNG, Flash Wolves et Afreeca. Là encore on leur trouve un dénominateur commun qui est la passivité – voire la pauvreté des performances – de leurs midlaners. Crown s'est fait pulvériser par l'intégralité de ses adversaires. Maple et Xiaohu se sont mis en retrait au profit de leur botlane. Quant à Kuro, il s'agit d'un savant mélange des deux problèmes (si ce n'est qu'Afreeca jouait pour son toplaner Kiin, et non pas sa duolane). Et comme vous le savez sûrement, il est très difficile d'être proactif dans la jungle lorsque votre coéquipier se fait enfoncer sur la voie du milieu. Encore une fois, le fait de tomber très rapidement derrière dans le deux contre deux mid-jungle leur a coûté cher dans bon nombre de parties.

Ainsi, les équipes ayant eu le plus de succès sont celles disposant d'une excellente relation entre la voie du milieu et la jungle, tandis que cette même relation est le gros point faible de beaucoup d'écuries décevantes de ces Worlds 2018. Plus globalement, le coté haut de la Faille de l'Invocateur était la clé de la réussite des championnats du monde. Finalement, notre meta est bien là. Elle s'est simplement faite beaucoup plus discrète que les années précédentes, et beaucoup de participants n'ont pas réussi à l'identifier à temps, la Corée en tête de gondole.

 


Crown, symbole de la descente aux enfers de la LCK cette année.
Crédits : Lolesports

 

Que faut-il retenir de tout cela ? Eh bien, il y aura vraisemblablement toujours une meta, car League of Legends est un jeu qui ne dépend pas uniquement des joueurs, mais aussi de son équilibrage. Il est possible d'imaginer un monde sans meta dans le cas où tout le jeu est parfaitement équilibré, car aucun élément du jeu ne serait objectivement supérieur à un autre. Mais soyons honnêtes, cela n'arrivera jamais. Ceci étant cette meta peut être plus ou moins marquée, et donc potentiellement donner plus de stratégies viables aux joueurs, comme ce fut le cas cette année. De plus, il faut nuancer cette réalité en admettant que certaines escouades ont peut-être intérêt à délaisser la meta si elle ne convient pas à leur style de jeu habituel, et que leurs performances seront meilleures si elles se contentent d'évoluer dans leur zone de confort.

Mais au final, la meilleure équipe sera toujours celle qui arrivera à apprivoiser la meta et en faire son terrain de jeu. Pendant ces Worlds, il s'agissait de gagner le top side de la carte rapidement puis profiter de cette avance pour déclencher un effet boule de neige incontrôlable, et les joueurs Invictus Gaming sont ceux qui ont réussi à remplir au mieux cette condition de victoire – notamment grâce à des sololaners d'un talent incomparable pendant tout le tournoi – il est donc logique qu'ils aient remporté le titre.

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