Torment Tides of Numenera : Maladie textuellement transmissible.
Mais qu'est-ce qui m'a pris ? La semaine où Zelda et Horizon sortent, j'ai choisi de tester Torment : Tides of Numenera, sur PS4 en plus au lieu d'un PC traditionnel. Au lieu de gambader dans des mondes ouverts l'arc à la main, me voilà en train de lire des pavés de texte, choisir la meilleure réponse possible afin de progresser parmi plusieurs quêtes étroitement liées et en apprendre plus sur le grand échalas qui me sert de compagnon. Et vous savez quoi ? Je crois que j'aime ça !
Aux frontières des limites du réel de la quatrième dimension après la zone fantôme.
Vous incarnez le Dernier Reliquat, né(e) quand le précédent propriétaire de votre corps, le Dieu Changeant, est parti occuper une nouvelle enveloppe charnelle. Vous n'êtes pas seul(e) : le magicien changeur d'apparence a laissé des dizaines de reliquats derrière lui, vos "frères" et "sœurs" chacun très différents et pas forcément d'accord pour savoir si votre géniteur veut votre bien ou non. Il va ainsi vous falloir non seulement retrouver le Dieu Changeant mais aussi définir qui vous êtes et de quelle manière vous voudrez échapper à l'Affliction, une entité liée aux reliquats et qui semble vouée à leur destruction...
Si la quête du Dernier Reliquat s'avère être la mission principale du jeu, l'intérêt de Torment réside principalement dans son univers, Numenera. Adapté du jeu de rôle de Monte Cook, le Neuvième Monde combine technologie et magie en finissant par mélanger les deux dans un brouet étrange mais fascinant, à l'histoire riche et extrêmement bien narrée. Un constat qui s'applique d'ailleurs à l'ensemble du jeu : les scénaristes ont fait du bon travail pour donner envie aux joueurs d'assimiler des tonnes et des tonnes de textes pour décrire l'univers et ses personnages. Des nécrophages sympathiques aux psions mélancoliques en passant par les machines suicidaires, le Neuvième Monde recèle un peuple haut en couleur qui n'a rien à envier au Sigil de Planescape. De même, certains situations très cocasses vous rappellent le type de jeu dans lequel vous êtes : ne vous étonnez pas si après un petit plongeon du haut d'une falaise, quelques amis à vous goûtent une ou deux côtes entre la poire et le dessert.
Ceci dit, cette dernière péripétie ne vous sera pas fatale puisque comme Sans-Nom en son temps, le Dernier Reliquat est immortel. À chaque mort, vous vous retrouvez dans les limbes de votre esprit, Le Labyrinthe, où vous pouvez accueillir plusieurs entités et démêler les quêtes les plus complexes du jeu en effectuant des allez-retours entre la réalité et votre monde subconscient. Bien qu'il soit possible de trouver un moyen temporaire d'accéder au Labyrinthe sans décéder, la mort est une option tout à fait viable pour poursuivre une quête : je crois même n'avoir jamais gagné d'expérience auparavant lors d'une mort. Toutes ces caractéristiques font de Torment un jeu étrange qui risque de plonger nombre de joueurs non avertis dans un monde parfois très étrange, mais toujours prenant : on a envie d'en voir plus et d'en savoir plus. Heureusement vu la quantité de texte à se fader.
En ce qui concerne le biophage, "bizarre" est un euphémisme...
Pavé, César !
Autant être honnête et désillusionner tous ceux qui espéraient que Torment : Tides of Numenera proposerait un système de combat plus intéressant que son prédécesseur, ce n'est pas vraiment le cas. Pourtant, si Planescape : Torment était coincé dans la deuxième version de Donjons et Dragons et ne pouvait pas proposer un système de jeu basé sur le roleplay, les combats restaient décents. Ici, le système de crises proposait pourtant un beau potentiel en permettant des "rencontres" où le combat n'empêche pas d'interagir avec l'environnement et dans lesquelles on peut même discuter avec certains ennemis pour les intimider voire stopper le combat. Cependant, les combats ne sont pas très palpitants mais Torment affiche clairement et rapidement la couleur comme son prédécesseur en son temps : ce genre de jeu récompense la discussion et la persuasion beaucoup plus qu'un Baldur's Gate ou, de nos jours, un Pillars of Eternity. Évitez donc au maximum les combats, non pas tant pour vous débarrasser les crises (il y en a plusieurs d'inéluctables et elles sont correctement gérées) mais dans le but de tirer le plus de profit des dialogues proposés.
Pendant les dix à quinze premières heures de jeu, le système de jeu de Numenera est captivant : la fiche de personnage, simple et claire, vous octroie trois réserves, une de Puissance, une de Célérité et la dernière d'Intelligence. Chacun de vos personnages pourra dépenser un point dans une de ces réserves pour augmenter ses chances lors d'un test de perception, de persuasion ou une épreuve de force, sachant que le jeu est très clair et explique comment vos actions précédentes ont pu influencer sur vos tentatives : avoir examiné un mécanisme augmente les chances de réussir l'activation d'un artefact, par exemple. Le feeling issu du jeu de rôle sur table est donc très présent et très réussi. Malheureusement, avec la montée en puissance de votre groupe, les jets deviennent de plus en plus faciles sans avoir à dépenser de points de la réserve. Dommage que le jeu ne récompense pas autant l'implication du joueur après la première grande ville, Sagus, même si l'intrigue principale reste de qualité jusqu'à la fin.
Autre bonne idée, les cinq flux (les fameux Tides) représentent la manière dont le joueur se comporte vis-à-vis du monde qui l'entoure : le flux doré, par exemple, sera votre flux dominant si vous êtes de nature altruiste, le flux rouge si vous êtes impulsif, etc... Sur le papier, c'était un remplacement intéressant au système d'alignement issu de D&D mais dans les faits, la compréhension et l'utilisation consciente de ces flux arrive un peu tard pendant l'intrigue, il faut même résoudre une quête secondaire pour obtenir la capacité permettant de les manipuler. Quelques dialogues, certains importants, prennent en compte votre flux dominant mais il est parfois difficile de savoir exactement où votre personnage se situe au sein de ce système : il faudra donc agir de manière la plus roleplay possible pour s'assurer que les flux reflètent fidèlement vos actions.
Ci-dessus, les cinq flux. Attention, une décision importante peut faire basculer les flux de manière inattendue !
Jamais sans mon PC !
L'aventure proposée par Torment : Tides of Numenera était certes très agréable mais une fois les crédits passés, il semble malheureusement clair que le jeu n'arrive pas à égaler son illustre prédécesseur. En effet, il est évident que plusieurs zones du jeu sont passées à l'as pendant le développement : sinon, pourquoi fournir une carte présentant une dizaine de sites à visiter pour n'en avoir finalement que la moitié dans le produit final. À en croire plusieurs témoignages ayant affleuré sur Internet, plusieurs fonctionnalités et sites d'intérêt ont été abandonnés afin de favoriser un portage console qui n'était pas prévu au départ. Une fois le jeu en main, on ne peut s'empêcher de donner du crédit à cette hypothèse et c'est d'autant plus dommage que les versions consoles sont clairement défavorisées à cause de problèmes de framerate, d'une interface qui n'a pas été adaptée et de bugs divers (impossibilité de discuter avec qui que ce soit à moins de redémarrer l'application, par exemple). Le jeu n'est pas injouable mais il est clairement moins prenant que sur PC, soyez donc avertis et laissez vos PS4 et vos Xbox One loin de ce portage flemmard et bâclé.
Pour autant, je ne peux que conseiller Torment : Tides of Numenera (enfin, sa version PC) à tous ceux qui ont aimé Planescape : Torment en son temps. Malgré les quelques problèmes déjà cités qui empêchent ce jeu de tutoyer les pontes du genre, la combinaison des intrigues présentées, de l'utilisation intelligente du Labyrinthe, de la musique ambiante de Mark Morgan (mention spéciale aux thèmes de Sagus, d'ailleurs) et d'une bonne rejouabilité en fait un titre très appréciable, surtout dans une ère où le jeu vidéo d'action domine outrageusement. Certes, quelques mécaniques et autres ficelles de storytelling sont datées, comme le fait de n'avoir qu'une équipe de quatre personnages qui force quelque peu le joueur à effectuer plusieurs runs pour pouvoir incorporer tous les PJ et explorer leurs arcs scénaristiques (une astuce dont Pillars of Eternity se gausse). Mais on y retrouve toute la bizarrerie, la créativité et l'audace des RPG du tournant des années 2000, parfois moins bien maîtrisée mais toujours aussi savoureuse. Et une fois pris au jeu, on peut vraiment être ému par Tides of Numenera : il aurait probablement fallu un peu plus de temps aux développeurs pour peaufiner leur bébé afin d'accoucher d'un chef-d'œuvre.
710Points positifs
- C'est extrêmement bien écrit
- Le principe du Labyrinthe qui va plus loin que dans Planescape
- Une bonne rejouabilité
- Un univers étrange digne de Planescape
- Une bonne musique d'ambiance
- Pas assez de lieux à explorer entre les deux grands hubs du jeu
- Portage PS4 très mal réalisé
- Les flux sont une idée intéressante mais ne remplacent pas les alignements
- Après une quinzaine d'heures, le challenge est beaucoup moins relevé
Malgré ses défauts, et un portage consoles à éviter absolument, Torment : Tides of Numenera est un RPG textuel de bon niveau apte à dépayser tous ceux qui satureraient après une surdose de sessions de paravoile ou de tir à l'arc. Si vous êtes capable d'assimiler de nombreux pavés de texte à la condition qu'ils soient bien écrits, ce jeu pourra vous satisfaire et peut-être même vous initier au genre, pour ensuite découvrir les chefs-d'œuvre qu'il essaie d'égaler.
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