La méta tank est-elle vraiment un problème ?
Depuis deux patches, une douce mélodie retentit à nos oreilles. Tel « Le Beau Danube Bleu » de Johann Strauss fils au concert du Nouvel An, c'est une complainte à laquelle on ne peut échapper au moins une fois chaque année. Mais plutôt que de hurler à la mort face au retour incontestable des tanks un peu partout sur la faille de l'Invocateur, peut-être faudrait-il essayer de comprendre, ne serait-ce qu'un peu, les véritables enjeux de cette « méta » diabolisée.
Vous connaissez l'histoire du berger qui crie au loup ? Son chien accourt, une fois, deux fois, mais il n'y a jamais de loup. Et quand le loup arrive vraiment et que le berger appelle son animal, il ne répond pas. C'est un peu le problème qu'on peut rencontrer : à force de se plaindre religieusement de l'avènement d'une soi-disant méta-tank au moindre buff de la ceinture du géant, on risque de louper les vraies métas tank. Bref. En l'occurrence, on y est, mais comme on va le voir, ce n'est pas simplement la faute de la dernière mise à jour.
Contrôler la midlane, un effort d'équipe
D'abord, jetons un coup d'oeil rapide au patch 7.14, bourreau supposé du beau jeu. Des améliorations significatives de Cho'Gath et Taric, une légère augmentation des résistances octroyées par l'ultime d'Alistar, un changement de la cotte épineuse lui conférant un passif infligeant Saignement à l'attaquant… Et c'est plus ou moins tout, du moins en ce qui concerne les champions et objets utilisés en compétition pour l'instant.
Pourtant, bon gré mal gré, Maokai s'impose comme l'une des nouvelles références dans la jungle. La toplane semble redevenir le royaume des personnages indéboulonnables accumulant les statistiques défensives. Et les supports à distance disparaissent les uns après les autres depuis le patch 7.11 : exit Karma, Lulu, Zyra, et autres Bard, et bonjour Braum, Thresh, Rakan, Blitzcrank ou encore Taric depuis quelques jours.
Plusieurs explications à ces tendances. Au niveau des carrys AD, les personnages les plus représentés (bans inclus) disposent généralement d'une bonne phase de lane : capacité à push efficacement, relativement puissants dans les escarmouches 2v2 dans les premiers niveaux, ainsi qu'une certaine autonomie. Dans cette catégorie, Caitlyn, Kalista, Tristana ou bien Lucian règnent.
Rakan et Kalista, un duo extrêmement efficace mis à profit par KT face à Longzhu. Pray est désarmé.
Crédits : @OGN
Dans ces conditions, une domination sur la voie du bas peut rapidement être convertie grâce à un support mobile et surtout dangereux en cas d'altercation avec les adversaires. Des personnages comme Blitzcrank, Rakan, Thresh ou Alistar sont capables d'infliger une énorme pression dans la jungle adverse, ou bien sur la midlane, où sont privilégiés des champions à longue range et à fort scaling, ce qui limite les duels dans les premières phases de la partie. Ramener la vague de sbires sous la tour adverse, prendre la vision, décaler au mid ou accompagner le jungler dans ses invasions : tel est le quotidien des supports, et on comprend la transition effectuée vers ces héros plutôt corps-à-corps.
Dix petits tanks, l'un d'eux se fit dive, il n'en resta plus que neuf…
Partons maintenant au nord de la Faille, où les Kennen, Rumble et même Jarvan se font plus discrets. La domination du splitpush est moins centrale dans les stratégies d'équipe : avec une ligne de front composée de deux ou trois tanks, il est désormais possible de se regrouper au mid et de menacer en permanence une avancée sans complexe si l'un des joueurs adverses décide d'appliquer une pression sur les sidelanes. La menace du dive est trop violente, d'où une recrudescence des scenarii de type « ARAM ».
En ce sens, la dernière manche du Bo3 opposant les licornes de l'amour aux macaques mystérieux (UoL vs MM, vous aurez compris) est un très bon exemple de cette situation – et, un peu, de la puissance destructrice de Cho'Gath. Vizicsacsi a opté pour ce dernier, tandis que Kikis se décidait pour un Jax. Le pari des Monkeys s'est avéré payant pendant plus de 20 minutes : en profitant des multiples erreurs grossières du toplaner UoL, et avec l'appui du Maokai de Amazing, le Cho'Gath s'est vite retrouvé à 0 4 0, et dans l'impossibilité de tenir seul sur une lane, que ce soit face au Jax donc, ou bien même face au Vladimir de CozQ.
Un Cho'Gath à 0 4, tout devrait bien se passer... sauf en cas d'affrontement 5v4 sur la midlane.
Crédits : @RiotGames
Et pourtant, tout cela n'aura eu aucune importance. Suite à un nouvel échange avec Kikis lourdement perdu par Vizicsacsi, celui-ci décide de rentrer à la base. Les huit joueurs restant se trouvent au mid ; les licornes utilisent alors la force de Tahm Kench pour provoquer un affrontement, tandis que leur Cho'Gath se téléporte dans la mêlée, au contraire du Jax qui annule prudemment son sort pour se focaliser sur la T1 bot. Dégâts en pourcentage des points de vie max, burst en dégâts bruts : le Cho récupère deux kills et les protégés de Romain Bigeard s'emparent du Nashor.
Dans la suite du match, Kikis n'arrivera jamais à imposer son splitpush, que ce soit à cause de la menace du Tahm Kench ou simplement de l'avancée irrésistible des Unicorns au mid. Quant au Cho'Gath, son impact en teamfights aura été largement plus impressionnant que celui du pauvre Jax.
Il est donc logique de voir ressurgir des champions tels que Gnar sur la toplane, disposant à la fois de très bons arguments à faire valoir en splitpush, mais également d'armes redoutables en teamfights.
La jungle, royaume du contrôle
En effectuant un rapide tour d'horizon des junglers bannis ou sélectionnés ces dernières semaines, voici les noms qui ressortent : Zac, Gragas, Elise, Rek'Sai, Lee Sin, Jarvan, Sejuani. Comme précisé plus haut, Maokai s'impose aussi lourdement depuis le dernier patch. Et on retrouve ponctuellement quelques Kha'Zix, Nidalee, Rengar, voire même Rumble – que Spirit affectionne beaucoup. Mais dans les grandes lignes, les junglers du moment sont tanky et disposent de beaucoup de contrôle.
Les dix junglers les plus présents au Summer Split, toutes régions confondues.
Les statistiques de Rumble et Jayce incluent leurs apparitions au top ou au mid.
Maokai a pour ainsi dire intégré le classement au dernier patch...
Crédits : @OraclesElixir
Les deux exceptions restent Lee Sin, dont le succès repose sur les capacités mécaniques et décisionnelles du joueur à écraser les vingt premières minutes, et Elise. Cette dernière constitue l'un des rares picks orientés sur la domination de la jungle : rapide pour nettoyer les camps, redoutable en duel, mobile et très pénible à gérer sur la carte, Elise dispose probablement de l'impact le plus significatif en début de partie. Pire encore, sa faculté de dive est un véritable enfer pour les personnages peu mobiles, et on a notamment pu observer les KT Rolster abuser du duo Renekton-Elise pour enterrer le toplaner adverse. Il faut néanmoins noter que les actuels leaders de Corée font partie des très rares équipes capables de capitaliser vite et fort sur un avantage acquis tôt dans la partie, s'évitant ainsi les situations de pile ou face en cinq contre cinq au mid.
Naturellement, lorsque les choses ne se déroulent pas bien, Elise devient rapidement limitée en comparaison des machines à contrôle qu'elle affronte le plus souvent, et ce malgré un burst surprenant. Si les choix similaires à celui de l'araignée sont limités, un champion comme Kayn pourrait bouleverser cette situation, de par sa mobilité innovante et efficace. Mais de façon générale, l'exigence requise par des champions comme Nidalee ou Lee Sin dissuade les équipes d'opter pour eux, puisque le choix beaucoup moins risqué d'un tank est aussi un gage d'efficacité à partir des vingt minutes et des regroupements au mid, de plus en plus systématiques.
En résumé : qu'est-ce qui nous gêne ?
Les éventuels risques représentés par une telle méta tiennent sans doute dans cette dernière observation. À vrai dire, la surpopulation de tanks n'est pas forcément un problème, et trouve même des justifications logiques compte-tenu d'autres critères. S'il est sûrement un peu malhonnête d'attribuer cette propagation uniquement à l'arrivée initiale des supports tankys et des conséquences évoquées plus haut, il est tout de même clair, comme à chaque fois, que l'émergence d'une metagame n'est pas un phénomène instantané – sauf en cas de gros loupés avec certains items, bien sûr.
Les H2K ont encore beaucoup de chemin à parcourir s'ils veulent atteindre les Worlds
et égaler leur performance de l'an passé...
Hé, pourquoi tu te marres, Chei ?
Crédits : @Lolesports
Le souci, c'est d'inciter les équipes à produire le moins d'efforts possibles. À quoi bon se risquer sur des champions agressifs ? Dans la plupart des cas, atteindre le milieu de partie sans avantage sensible reviendrait à être en mauvaise posture. L'appauvrissement des stratégies se reflète par les interminables phases à cinq contre cinq sur la midlane, jusqu'à ce qu'une des deux équipes commette une erreur ou bien perde patience.
Enfin... presque. Une nouvelle fois, il faut se pencher vers la Corée pour constater que l'ennui n'est pas une fatalité. Car si les maux des « métas tank » devaient être résumés en deux mots, il s'agirait sûrement de frustration et ennui. Pourtant, pour reprendre l'exemple cité plus haut, les KT Rolster sont capables de choisir trois champions tanky – Shen, Gragas et Galio par exemple – et de provoquer des dives à cinq joueurs sur la botlane dans les dix premières minutes de jeu. Le spectacle est brutal, mais redoutable d'efficacité, et insuffle un rythme nettement plus dynamique à la partie. Alors, bien sûr, tout le monde n'est pas capable de réaliser les prouesses de Smeb, Score ou Deft... Mais s'inspirer d'eux aurait du bon.
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